La première fois qu’on m’a demandé ce que je voulais faire plus tard, c’était en CE1, j’avais 7 ans et j’étais fan de Lorie. Alors, j’ai répondu : une rockstar. Chanter à m’en casser la voix. Réunir les passionnés. Sauter dans la foule.
La deuxième fois qu’on m’a demandé ce que je voulais faire plus tard, c’était en 2nde, j’avais 15 ans, des boutons sur le front et pas tout compris au Deuxième Sexe de Beauvoir. Mais, j’ai tout de même répondu : une grande dame. Taper du point sur la table. Défiler dans les rues avec des pancartes aux messages saugrenus. Être la figure de proue d’un navire de revendications.
La dernière fois qu’on m’a demandé ce que je voulais faire plus tard, c’était hier matin, j’étais chez ma psy et je n’ai rien répondu. Parce que plus tard, c’est maintenant. Et je ne sais plus. Enfin si, je sais au moins une chose. C’est que j’ai peur. De tout. Et surtout de ce « plus tard » qui me lacère le cœur.
Je rêve toujours de réunir les passionnés et de taper du point sur la table. Néanmoins, je ne veux assurément plus sauter dans la foule. Ou encore moins défiler dans les rues. Parce qu’aujourd’hui, j’ai peur.
Peur de ces bains de foule qui vrombissent, de ces marées humaines qui s’agitent, de ces flots d’âmes errantes qui ne savent plus non plus.
Peur de ce déluge de microbes, de ces vagues de miasmes qui envahissent mes narines et qui s’accrochent à mes bronches.
Peur de cette culpabilité qui grandit, et remplit mes poumons à chaque fois que je mets un pied dehors.
Peur de cette asphyxie en plein air.
Peur du monde. De mon monde, et de celui à venir.
Bain de foule
Cet article fait partie du dossier « On fait quoi après » pour lequel nous avons suivi une cinquantaine de jeunes « Z » depuis le premier confinement, afin de comprendre la manière dont ils ont vécu la pandémie, et de saisir les projections « du monde d'après » qui se dessinent dans leurs têtes.